« Du côté des TIC » 1 : « FB : mon année 2014 en images… »
En cette fin d’année 2014, le plus grand et le plus répandu des réseaux sociaux nous a proposé une nouvelle fonctionnalité spécialement préparée pour cette période des fêtes et les moments de libations alimentaires et consuméristes qui l’accompagnent d’une manière de plus en plus automatique et mécanique. C’est Noël, c’est Nouvel An : Il FAUT manger. Il FAUT faire la fête. Il FAUT être joyeux. Il FAUT le dire sur nos réseaux sociaux…
En quelques clics (https://apps.facebook.com/my-year-in-photos), c’est l’application qui choisit (« vous propose » dirait Mark Zuckerberg) 16 images qui vont constituer un petit film de style « retrospective » et donner au monde (« ä ceux à qui vous souhaitez y donner accès » dirait l’ex-ado boutonneux multimilliardaire susmentionné) les faits marquants qui ont fait de votre année 2014, la meilleure depuis le début de votre vie… Comme quoi Facebook sait mieux que vous ce qui est important dans votre année…
Je passe aussi bien sur les ratages et autres imbroglios que l’application a conçu a provoqué via son algorithme, par ailleurs très puissant (http://www.lemonde.fr/pixels/article/2014/12/28/facebook-une-retrospective-de-l-annee-2014-tourne-mal_4546813_4408996.html ou encore http://www.metronews.fr/high-tech/facebook-s-excuse-pour-sa-year-in-review/mnlC!J4qqfhxo8fCo/) que sur les avis positifs et jolies vidéos que j’ai reçues de mes amis FB..
Je souhaitais m’arrêter, dans ce billet, premier et dernier de l’année, inaugurant mon nouveau site Internet, sur la motivation de ceux qui ont accepté que le logiciel définisse à leur place ce qui était marquant ou non dans leur année… Pourquoi vouloir faire ça ?
J’entrevois quelques pistes que je partage avec qui le souhaite…
1. Les moeurs quotidiennes du Cyber-Humain Moyen : « Ah ben tiens, un nouveau truc… Keski fô faire ? Un bouton, une case de conditions générales à accepter… Ben allons-y ! Youpie ! ». Si j’utilise FB à de multiples reprises dans mon quotidien, si j’ai accepté d’y déposer des centaines de photos de ma famille, de mes vacances, des posts énonçant mes convictions, mes croyances, mes goûts et mes centres d’intérêts, comment pourrais-je refuser d’entrer dans ce « nouveau monde » ? Quelles explications devrais-je donner à mes pairs, étonnés de ne pas avoir déjà vu ma rétrospective ? Je suis finalement bien obligé, pour me rassurer, de cliquer et de devenir spectateur de mon passé proche…
2. La pression du « tendance » : « Oaih ! C’est trop cool, tu vois… C’est que mes bouffes dans les gastros qui sont sorties sur ma rétro 2014… trop drôle ! » (à lire avec des « euuuh » tous les trois mots et une prosodie assez lente…). Le diktat du « tendance », du « Tu devrais essayer, c’est top ! » ou du « Trop » suivi de n’importe quel autre mot est rarement analysé comme une sous-utilisation de ses neurones par ses gourous ! Le pire c’est que ce qui était tendance il y a 45 ans, revient en force… La mode n’est finalement faite que de cycles et de recyclages…
3. Le poids du « Si tu réfléchis trop, tu fais jamais rien… » : Là, c’est carrément affiché ! « Trop que t’es un adepte du complot à l’international ! », « Ouais mais bon, on peut pas être 2 milliards à se tromper quant même… »… Comme si prendre quelques minutes pour envisager les conséquences liées à nos actes était un sacrilège, une atteinte fondamentale à nos droits élémentaires… C’est l’inverse, mon coco… À ne jamais oublier : « Je pense, donc je suis..: ».
4. Le « championnat international de bonheur absolu » : je crois que nous touchons là au but… Qu’est-ce que le bonheur ? Qui y a droit ? Où se trouve-t’il ? Combien ça coûte ? Que je montre la meilleure bouteille de rouge que j’ai bu cette année, la destination de mes vacances estivales (et ce que j’y ai mangé), les événements familiaux qui ont jalonné l’année (et les plats qui les ont accompagnés), j’ai terriblement besoin de montrer que MA vie est intéressante, pleine, riche… qu’il n’y a pas une minute où je m’emmerde et que je SUIS HEUREUX ! Avons-nous si peur du regard des autres qu’il ne nous est plus possible de vivre notre vie comme elle vient ? Est-ce nécessaire de jeter aux yeux du monde les petites heures, minutes, voire secondes où nous atteignons cet état fragile qu’est le bonheur ? Et ceux qui ont vécu ces instants privilégiés et si difficiles à transcrire que ce soit en mots ou en images… Comment vivent-ils le fait que nous les bradons aux yeux du monde, sans filtre, sans explications et en laissant le choix de telle ou telle image à un logiciel ? Et surtout… Pourquoi avons-nous systématiquement besoin de « comparer » nos bonheurs comme de vulgaires performances dans une partie de Super Mario Kart ?
5. Le syndrôme de « L’humain comparé et comparant » : il me semble que c’est là probablement le point le plus important et aussi le plus inquiétant : la désormais permanente foire aux comparaisons qui se tient sur les réseaux sociaux. Il ne s’agit pas là d’évoquer le nombrilisme ou le narcissisme dont nous faisons preuve sur nos différentes profils, non. Là, il s’agit de quelque chose de normal : de tous temps, dès qu’il a acquis la capacité de préhension, l’homme s’est saisi de ce qui lui passait sous la main et s’est représenté sur les murs d’une caverne en train de chasser. Non, ça nous en avons tous besoin : entre estime de soi et besoin d’appartenance, nous existons aussi par le regard que nous portons sur nous-mêmes et celui que les autres portent sur nous.
Ce que j’évoque ici c’est le fait que nous passons autant de temps (sinon plus) à regarder ce qui se passe sur les profils des autres qu’à animer les nôtres… et si ce n’est pas le cas, nous restons quand même très attachés aux réactions que nos posts vont générer. Par la force des choses, nous sommes sans arrêt en train de comparer nos vies, nos passions, nos occupations, nos valeurs, nos engagements, le nombre de réactions que nos publications suscitent… Et nous jugeons, nous définissons des échelles d’appréciations, qui toutes personnelles et intimes qu’elles soient, finissent par se conjuguer les unes aux autres pour donner un « plus petit dénominateur commun », un seuil au-delà duquel nous estimons que cela constitue une forme de bonheur passable… Et nous sommes jaloux, envieux et parfois aigris, en lieu et place d’être contents de ce qui arrive à nos « amis », de s’inspirer d’eux si cela nous rend admiratifs…
Cela n’est pas sans conséquences sur les plus jeunes : la dernière étude proposée par Pro Juventute, dans le cadre d’une campagne qui s’appelle « La Vraie Vie », démontre qu’un jeune sur quatre est déstabilisé quand il se compare à des images postées sur les réseaux sociaux (http://jugendkampagne.projuventute.ch/fr/). Déstabilisé par des éléments qui ne sont pas nécessairement vrai, qui ne reflètent qu’une petite partie de ce qui constitue notre quotidien, une partie soigneusement choisie, puisqu’au petit jeu des comparaisons, personne n’a envie de perdre. Vais-je mettre en ligne mes chagrins, mes échecs, mes mauvais jours, mes sales gueules ?
Ainsi, du fait de poster pour nous, pour notre estime de nous, pour se sentir bien, voilà qu’on poste pour que les autres aient l’impression que nous sommes au sommet du bonheur ou, au pire, que tout va plutôt bien pour nous. C’est dans cette droite ligne que s’inscrit « mon année 2014 en image » : autant pour se rassurer que 2014 n’a pas été si pire que pour prouver aux autres que nous « sommes » !
Et bien, désolé, mais mon année m’appartient, appartient aux miens et à ceux que j’ai croisés, régulièrement ou ponctuellement. Comme ce que j’ai mangé appartient à mon esprit et mon estomac et ce que j’ai vécu à mes souvenirs. Mais je vous rassure, 2014 n’a été ni pire, ni meilleure que les autres : 12 mois, 365 jours, à me lever, me coucher, manger, aimer les miens, travailler, rire, pleurer…vivre quoi !..
En tous cas, je suis vivant et il est le 31 décembre 2014. Une belle occasion de vous souhaiter une belle année 2015, qui sera, j’en suis sûr à l’image de ce que vous déciderez d’en faire… Courage, 2015 arrive !
Sébastien
Pssst, regardez encore par là : http://www.presse-citron.net/5-raisons-pour-lesquelles-vous-devriez-arreter-immediatement-de-partager-votre-year-in-review-sur-facebook/